Sourdingue

Il y a certainement pire comme affection. Des saloperies qui menacent votre vie. Alors, dans un sens, je ne suis pas si mal loti, finalement.

L’objet de ce billet n’est certainement pas de m’épancher sur mon propre sort mais simplement de témoigner de la difficulté d’être « malentendant », comme on dit aujourd’hui. Sourdingue, quoi !


Au début, ce fut brutal. J’allais sur mes quarante ans. Un matin, j’ai entendu comme un souffle dans l’oreille gauche. Ainsi commença cette longue dégénérescence de l’audition. Six ans tard, à l’occasion d’une crise de coliques néphrétiques, l’oreille droite a commencé, elle aussi, à faiblir. Plus lentement, si l’on peut dire. Aujourd’hui, 14 ans après, c’est la plus atteinte.

Pendant près de 8 ans, j’ai pu vivre avec cette déficience sans grands problèmes. Mais les 2 dernières années ont été pénibles. Je comprenais de moins en moins les conversations. Je faisais répéter de plus en plus souvent. Alors, il a fallu appareiller les 2 oreilles. Une paille : Chaque appareil intra-auriculaire coûtait près de 13 000 francs remboursés à hauteur d’un peu moins de 50 %, sécu + mutuelle. Une vraie joie de faire des chèques.

Le changement fut extraordinaire. Je pouvais désormais entendre des sons, des bruits que j’avais oubliés : Mes clés dans la poche de la veste, mes pas sur le trottoir. Je pouvais à nouveau écouter de la musique et surtout reconnaître les morceaux. Je pouvais discuter sans grand problème, comprendre, participer. Un renouveau. Les seules difficultés étaient les ambiances bruyantes, les réunions où tout le monde parle en même temps.

Malheureusement, mon problème est que cette hypoacousie ou presbyacousie (selon les explications données par mes ORL) n’est pas stable. Il fallait refaire les réglages fréquemment. Et puis, les appareils intra-auriculaires sont fragiles. Ils n’aiment pas la transpiration. Il y en avait toujours un en réparation. Lassant.

Finalement, au bout d’un peu plus de 3 ans, il a fallu en changer, de guerre lasse. J’ai pris des contours d’oreille. 4000 € dans la vue. La technologie a fait encore des progrès. Les réglages sont plus fins. Je peux supporter un peu mieux les ambiances bruyantes. Mais le problème de fond demeure : Mon hypoacousie s’aggrave régulièrement et les réglages ne durent que quelques semaines.

De nouveau, 4 ans après leur acquisition, il est fortement question de les remplacer car le droit, au moins, est arrivé au maximum de ses capacités. Il m’en faut des plus puissants. Un puits sans fond.

On n’imagine pas à quel point ceci peut influencer la manière de vivre. Je suis plutôt actif, j’aime le contact, la discussion, parler. Mais je me rends compte que, dans une réunion, par exemple, je perds facilement le fil. Préparer une réponse suffit à me déconnecter et à me faire intervenir alors que les autres sont passés à autre chose.

La crainte de ne pas bien comprendre fait que j’hésite à prendre la parole. Cela peut donner des situations cocasses, bien sûr. Mais dans le fond, c’est assez pénible.

Heureusement, ceux qui me connaissent font preuve de compréhension. Non sans me chambrer, bien sûr, mais du moins, ils me laissent ma chance et, finalement, ça se passe assez bien.

Dans l’ensemble, d’ailleurs, les gens sont compréhensifs. Je leur explique mon problème et ils en tiennent compte. Il m’est rarement arrivé de tomber sur des gens qui ne cachaient pas leur lassitude d’avoir à se répéter. Le cas échéant, je tourne les talons et les plante là. En général, c’est plutôt l’inverse. On parle fort pour que je comprenne et je dois expliquer que ce n’est pas tant le niveau sonore qui pose problème que l’articulation des mots.

Parfois, on me prend clairement pour un débile. C’est marrant comme certaines personnes peuvent résumer les choses : Un sourd, c’est au mieux un crétin congénital, au pire un malade mental.

Bref, c’est pas facile mais j’arrive à m’en sortir pas trop mal dans l’ensemble.

Le plus pénible, c’est l’effort incroyable que je dois produire pour chercher à comprendre. C’est réellement épuisant et ceux qui ne sont pas confrontés à ce problème ne peuvent pas l’imaginer. Cela joue sur mon humeur plus que je ne le voudrais. Quand mes appareils sont réglés au poil, elle est plutôt bonne. Sinon, je sombre vite dans des humeurs sombres. J’ai tendance à m’isoler, ce qui est facile puisque je ne comprends rien à ce qui se dit. Je ne supporte plus le bruit, trop stressant, ni les gens bruyants, ceux qui parlent fort, ceux qui rient fort, ceux qui envahissent l’espace sonore. Ils sont épuisants. Mais comment faire ?

Sur le plan professionnel, cela ne va pas sans poser de problème, non plus. De compréhension, bien sûr, mais aussi de sécurité. Les travaux en hauteur me sont interdits. Et je crains aussi de ne pas entendre les signaux d’alarme sonore. Travailler isolément dans une entreprise exposée à certains risques est devenu, d’une certaine manière, un risque potentiel non négligeable pour moi. Il n’est pas facile, toujours, de la faire admettre.

Heureusement, je ne souffre pas de vertige. Sauf en hauteur et dans le noir profond. Du coup, je peux continuer à conduire ma moto. Ce serait terrible de devoir y renoncer.

L’écrit est devenu ma planche de salut. A la télé, je choisis des émissions sous-titrées. Ce qui, au passage, m’a fait découvrir la piètre qualité de ce dernier même lorsqu’il n’est pas réalisé à la volée. C’est le cas notamment de certains films ou téléfilms.

D’une part, j’en suis réduit à ne regarder que des productions étrangères, le plus souvent américaines, et il y en a des bien craignos. D’autre part, la politique des sous-titres, même pour les émissions ou les films en français, est assez obscure. Hormis les chaines publiques et/ou généralistes, le sous-titrage est assez irrégulier sur les chaines du satellite, notamment. Quand il existe, ce qui est loin d’être le cas pour toutes. Pour celles qui le pratiquent de façon permanente ou régulière, il semble qu’un malentendant soit comme un grand enfant : A 22 heures, mon coco, hop au lit ! Finis les sous-titres ou à peu près.

Bien entendu, si je puis dire, je ne vais plus au cinéma. A ma connaissance, rares sont les salles qui projettent des films en VOST et encore plus rares celles qui projettent des films français ou de langue française sous-titrés. Alors j’ai laissé tomber. Comme la radio (qui comme on sait n’est pas très propice à l’expression écrite) que, pourtant, j’adorais écouter et qui fût longtemps une précieuse compagne (Ah, les émissions de France Inter)…

Comme le téléphone qui est devenu une hantise. Pour répondre, il faut que j’enlève un appareil. Puis que je m’équipe d’une oreillette « bluetooth » en espérant ne pas avoir oublié de la mettre en route et accordée au téléphone. En général, quand je suis enfin prêt, l’appel est passé sur la messagerie…

J’écoute de plus en plus rarement de la musique. Quand mes appareils sont bien réglés, mais ça fait peu. Du coup, je n’en achète plus et je ne suis plus au courant des nouveautés. Je vis de mes souvenirs.

Je lis davantage, ce qui n’est pas forcément un mal. Les journaux, les articles sur Internet. De toute façon, j’ai toujours adoré lire. A quelque chose malheur est bon.

Pour être honnête, je reconnais que, quelques fois, être sourd a du bon. Je peux m’isoler facilement. Et sans mon attirail, je suis à vingt mille lieues sous les mers. Le monde du silence ou à peu près. Car il y a les acouphènes. Ce bruit de fond permanent qui occupe mes oreilles et dont l’intensité varie avec mon état de fatigue ou de stress. Ils sont aussi plus puissants en périodes de crise. Je sais alors que j’ai encore perdu quelques décibels sur quelques fréquences.

En général, j’arrive à m’en accommoder. Dans la journée, je n’y prête pas attention. Le soir, au calme, ils sont plus présents. Mais je suis plutôt chanceux : Pour certains, ils sont insupportables.

J’en arrive à un stade où je pense que je ne pourrai plus me passer d’autres techniques. J’envisage la lecture labiale. Ce serait une aide supplémentaire. Car, dans le fond, c’est la relation aux autres qui importe le plus si on ne veut pas vivre en vase clos. Finalement, mes plus grands efforts concernent la préservation de ce lien social et familial. C’est pourquoi, malgré les difficultés et les efforts épuisants, je refuse de me retirer, pour raison de surdité, des structures dans lesquelles je me suis investi. Ce serait pour moi, je le pense très profondément, ma pire défaite.