[Blogue] Robinson Crusoe

Je ne saurais dire combien de rêves ce livre a nourri en moi. Il fut, je crois, le premier vrai grand livre que l’on m’offrit. Était-ce un prix scolaire ou un cadeau d’anniversaire ou de Noël ? Je ne sais plus mais il compta beaucoup pour nourrir mon imaginaire d’enfant. Car grand il l’était, assurément, non seulement par ses dimensions — 20,8 x 28,5 x 2 cm, quand même ! — mais surtout par ce qu’il contenait de ferments d’aventures et de rêves, pareillement fantastiques. Il fût le premier d’une longue série de livres dévorés dont, aujourd’hui encore, je ne parviens heureusement pas à voir le bout. Par bonheur, oui, tant la lecture et les livres me semblent être comme des fluides vitaux indispensables, des fenêtres ouvertes sur le monde réel ou imaginaire et sur l’âme humaine, des sources inépuisables de connaissances. C’est au travers de tous ces livres et grâce à tous ces auteurs multiples que m’est venue, enfant, cette soif inextinguible d’apprendre, encore et encore, que je souhaite ne jamais étancher.

Ainsi donc, j’ai erré moi aussi, comme Robinson et du haut de mes douze ans, sur les quais de quelque ports de grand commerce, vêtu d’un lourd manteau de velours noir, l’épée au côté, coiffé du tricorne, dans l’attente d’embarquer sur un grand trois-mâts à trois ponts en partance vers des mers lointaines et des mondes nouveaux. J’ai été ce Robinson, comme vous me voyez, qui a su tout réinventer pour vivre sa vie de « sauvage » civilisé sur son île déserte, perdue au milieu de l’océan, avec pour seuls compagnons des chiens, des chats, des chèvres et, finalement, Vendredi.

Je ne sais pas ce qu’est devenu ce livre. Il m’a pourtant longtemps accompagné avant de disparaître, avec bien d’autres, dans les tourmentes d’une époque où mes préoccupations étaient ailleurs. Mais je sais au fond de moi que je les ai toujours cherchés, ces vieux bouquins comme si, en les perdant, c’était aussi une partie de moi-même qui avait disparu. Bien sûr, j’aurais pu les racheter dans de nouvelles éditions et ce fût le cas de certains que j’ai relus plusieurs fois. Mais, je ne sais pourquoi, pour certains autres, cela m’était impossible. Peut-être car ils étaient des marqueurs intimes de mon enfance, porteurs de souvenirs d’une époque révolue mais ô combien heureuse. Alors mieux valait, me semble-t-il, garder leur souvenir plutôt que de me les procurer à nouveau car, dans le fond, comme ces vieux jouets décatis que l’on retrouve longtemps après les avoir abandonnés, ce n’était pas eux en tant que tels qui importaient mais plutôt l’atmosphère qui nous entourait quand je les avais à ma portée et que je pouvais les lire tout mon saoul.

Aussi, je ne saurais dire l’émotion que j’ai éprouvée en voyant cette couverture colorée si familière, disparue depuis si longtemps. Alors, je l’ai acheté, pas cher au demeurant. Il est comme neuf, dans un état remarquable, exceptionnel même. Il ne sent pas le vieux bouquin, ce mélange de poussière et de moisi qui envahit les narines dès qu’on approche d’un livre depuis longtemps au repos sur une étagère ou au fond d’un tiroir. Celui-là sentirait presque le neuf, parole ! Il ne demande qu’à être ouvert pour livrer à nouveau son contenu toujours aussi captivant (je l’ai feuilleté, pensez bien !).

Et qui sait ? Je cèderai sûrement bientôt à cette invitation.