Lorsque je croise des femmes portant foulard, je me dis qu’il y a là, parfois, plus que l’expression d’une conviction religieuse, peut-être aussi le signe extérieur d’un repli communautariste.
La religion, c’est une affaire personnelle, intime. L’État n’a pas à s’en mêler ni pour faire respecter les règles édictées par les religions ni pour les interdire. Si ces femmes veulent couvrir leurs cheveux et leur corps, voire leur visage, cela ne regarde personne qu’elles-mêmes. De toute façon, une religion induit une forme extrême de sujétion et je ne vois pas en quoi l’islam ferait plus problème que les autres.
D’une certaine façon, il y a dans cette pratique une forme de discrimination visant à nier le corps de la femme. Mais ce n’est pas, là encore, une particularité de l’islam. Dans notre Europe aux racines prétendument chrétiennes la même chose s’est pratiquée sous des formes pas toujours très différentes. Et puis quoi ? Va-t-on légiférer au prétexte que de bonnes âmes ont décidé que la liberté des femmes musulmanes serait bafouée, sans tenir compte de leurs propres convictions ni de leur volonté ? Cette manie chez certaines gens de toujours vouloir penser à la place des autres est tout simplement fatigante et intolérable.
De plus, personne ne s’offusque pareillement de la même pratique chez les religieuses catholiques alors que leur accoutrement a les mêmes origines orientales que celui des musulmanes. Une règle que l’on prétend imposer au nom d’une certaine conception de la laïcité doit s’imposer à tous, en principe. A moins que ce ne soit un nouveau prétexte pour stigmatiser une population particulière.
Je me souviens des années soixante, quand de doctes censeurs voulaient interdire à nos sœurs de porter la mini-jupe ou bien, dans les lycées ou ailleurs, de porter un pantalon. Pour la liberté vestimentaire, on repassera donc ! Et je me souviens aussi très bien qu’à la même époque, nombre de femmes se coiffaient d’un foulard (un fichu) parce que c’était comme ça qu’elles devaient sortir…
Quant aux raisons qui poussent une jeune femme (ou un jeune homme, d’ailleurs) à entrer dans les ordres, je suis certain que, en cherchant bien, on trouverait enfoui quelque part dans leur subconscient, une forme d’aliénation qui hypothèquerait gravement leur liberté de choix. Pourtant, je ne sache pas qu’on envisage de légiférer sur celle-ci.
Je me console en me disant que beaucoup de ces femmes musulmanes exhalent une féminité éclatante. Il y a souvent, dans leur façon de s’habiller, une grâce et une sensualité extrêmement troublante. Ce voile tant décrié souligne souvent des traits d’une grande finesse et une beauté qui réjouissent l’œil et le cœur. Si la beauté est une notion très subjective, je ne suis pas vraiment certain que beaucoup de femmes « libres » qui ne s’exposent pas forcément plus mais ne cache pas toujours beaucoup de leurs « charmes », soient beaucoup plus élégantes. Au contraire. Mais l’art de se vêtir est aussi du domaine de la liberté d’expression.
Bien sûr, je m’interroge sur les causes de cet engouement relativement récent pour l’affirmation publique de ses origines et/ou de ses croyances et il me semble qu’il serait bien plus pertinent de se pencher sur l’hypocrisie de notre système « d’intégration » (même si, en réalité, nombre de musulmans actuels ne sont pas issus de l’immigration). L’accueil que nous réservons aux étrangers, surtout lorsqu’ils viennent de l’ancien empire colonial, et cela depuis très longtemps, ne me semble pas correspondre exactement aux principes républicains. C’est le moins qu’on puisse dire. Comment, dès lors, pourrions-nous leur reprocher de se raccrocher à ce qui les rassure : leurs origines et leur pratiques religieuses ?
Et puis, à supposer que nous soyons aussi vertueux et accueillants que nous le prétendons, peut-être faut-il également s’interroger sur cette recherche de spiritualité qui pousse actuellement de plus en plus de gens vers les religions mais pas nécessairement vers celles qui seraient, paraît-il, nos prétendues racines.
Toujours est-il que, si je regrette personnellement ce que je considère comme une forme d’aliénation, je ne vois pas ce qui m’autoriserait à porter un jugement sur ceux de mes contemporains qui pensent y trouver une forme de réalisation, une espérance et un réconfort, peut-être même une protection. A chacun de mener sa vie comme il l’entend.
Ma conviction est que ces histoires de foulards et de voiles sont l’expression d’une intolérance qui s’étend comme la gangrène, vis à vis de populations déjà souvent fragiles. Leur interdiction systématique, et donc aveugle, me paraît présenter un risque d’effets secondaires encore plus graves que ces pratiques ne sont gênantes en elles-mêmes. Focaliser le débat sur ces femmes ne peut qu’accentuer leur sentiment d’exclusion et renforcer leur rejet de la République. Il doit nécessairement y avoir des moyens plus humains et plus judicieux pour prévenir une supposée prolifération.
Alors, foutons-leur la paix ! C’est pourtant simple : ça s’appelle la tolérance.