Ce SMIC qui ruine la France…

 

  • On a beaucoup parlé du SMIC [1], ces derniers temps. Et pas que pour en dire du bien, notez, car il fallait nous démontrer que toutes nos misères, et celles de notre jeunesse en particulier, viennent de ce dispositif désormais accablé de toutes les tares économiques. C’est l’époque qui veut ça, avec son chapelet de dogmes gravés dans le bronze, sur la compétitivité, la concurrence libre et non faussée et sur ces intolérables nantis que sont les petites gens qui profitent d’une ribambelle d’aides sociales. C’est qu’elles seraient bien mieux utilisées, ces aides, à stimuler l’investissement et à abaisser le fameux coût du travail qui pèse sur nos vaillantes entreprises, surtout car il ne permet pas à leurs propriétaires de se payer sur la bête aussi grassement qu’ils le souhaitent. Vous verrez que, d’ici peu, oser réclamer d’être payés au SMIC, en plus de vous valoir d’être virés sur le champ avec pertes et fracas, vous vaudra en prime un procès pour outrage et d’être rangés dans la catégorie des ennemis de la France, de son économie et de sa compétitivité si précieuse. Déjà que là, même si vous ne dites trop rien, vous êtes coupables d’exister !… Je crains d’ailleurs qu’exiger le moindre salaire ne suive bientôt la même voie. Vous serez un traître à la Nation, un suppôt de l’anti-France. Pour un peu, on se croirait presque revenus au bon vieux temps du Second Empire ou sous la République de Thiers et de Mac-Mahon !

    Naturellement, ceux qui en parlent le mieux sont des gens dont les revenus se comptent en multiples du SMIC et, de préférence, de gros multiples. Un Pascal Lamy, par exemple — l’ex-directeur général de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et qui serait, paraît-il, socialiste ou apparenté, non mais allo quoi ! — ça vous encaisse du 380 kilo-euro dans une année. Et ce n’est bien sûr pas suffisant car pour le remercier d’avoir mis tant de gens sur la paille, il aurait fallu, d’après l’intéressé lui-même, qu’on lui augmente son traitement de 25 %, histoire de compenser une retraite jugée trop faiblarde. On parie que ce n’est ni celle de la Sécu calculée sur ses 25 meilleures années ni celle de l’AGIRC ni celle de l’ARRCO ? Bien sûr.
    Donc, forcément, ce mec est qualifié pour venir nous parler des délices qu’offre une vie avec un salaire inférieur au SMIC. C’est que, voyez-vous, dans sa petite tête tout juste équipée du minimum requis pour appartenir à l’espèce humaine, la vie des gens pauvres s’illustre par l’imagerie acidulée et bonasse du bonheur sans prétention qui sait se contenter de peu et dans lequel la vraie richesse ce sont les enfants, les amis et la bouteille de gnole. Le Loto® du samedi, aussi, tiens, allez ! Ah, s’ils avaient conscience de leur bonheur, tous ces pauvres ! Loin des soucis de placements, de paradis fiscaux, de fiscalités optimisées. C’est bien simple : les pauvres, les « smicards », c’est toujours à se plaindre alors que ça paie même pas d’impôts !

    Pierre Gattaz, le fils de l’autre, ne dit bien sûr pas autre chose. Mais lui c’est un grand bourgeois nanti, profiteur et voleur, qui a tant souffert pour hériter de la fortune de son père, vous avez pas idée ! Car chez les Gattaz, on est grand comique de père en fils. Papa était déjà lui-même un autre méritant travailleur de force qui s’est fait lui-même en pillant l’économie nationale, en accumulant. Donc, c’est normal que chez ces gens-là, des parasites qui s’enrichissent du travail des autres, on ne se réjouisse pas à l’idée de verser des salaires à ses salauds d’employés alors que ça ampute son butin d’autant. Les payer sous le SMIC, c’est déjà beau quand on pense aux sacrifices consentis par de si grands patriotes obligés de limiter l’augmentation de leurs émoluments à une petite trentaine de pour-cents ! Et je vous fiche mon billet qu’il en est que ça exciterait de spolier ces malheureux de leurs comptes offshores. De la pure jalousie, faut dire, comme si c’était ça qui allait rendre les smicards plus heureux. Partager, c’est bien beau mais l’exemplarité et le mérite dans tout ça ? Que des communistes, je vous dis !

    Heureusement, on a plein de gens en costard-cravate ou tailleur qui se pavanent de longue devant micros et caméras ou dans les journaux pour disserter savamment sur les mérites de la France travailleuse et bonne fille, celle des patrons courageux qui donnent du travail, celle des créateurs géniaux, celle des rentiers désintéressés qui investissent dans nos entreprises, celle des éditocrates qui façonnent l’opinion, celle des politiciens et des hauts-fonctionnaires qui se sont taillés un système de partage du pouvoir et des profits sur mesure, etc. cette France si généreuse, donc, qui serait lourdement handicapée par les feignasses que nous sommes (salariés du privé, petits fonctionnaires, petits artisans/commerçants, chômeurs, retraités, etc.), ramassis de jaloux et d’envieux incapables de remettre en question leurs privilèges et cause de la faillite du pays aussi sûr que 2 + 2 = 4. Ils y vont franco car tout le monde sait que plus c’est gros mieux ça passe. Et puis, où est le risque puisque personne (ou si peu) ne réagit sauf pour désigner d’autres boucs-émissaires encore plus commodes ?

    Pourtant, on se dit que depuis le temps que les cotisations sociales prélevées sur les salaires égaux ou voisins du SMIC sont allégées, supprimées et transférées vers l’impôt (quand l’État songe à les compenser), si ça avait dû créer un seul emploi, on s’en serait certainement rendu compte. Non ? Mais eux, qui souvent ont fait de grandes écoles de commerce, d’économie, d’administration, de journalisme ou d’ingénieurs, qui donc sortent quasiment de la cuisse à Jupiter, ils ont réfléchi à la question, ça va de soi. Pas comme nous qui pensons bêtement que le pillage des richesses que nous contribuons à créer devrait être combattu pour utiliser les ressources autrement et mieux partager ces richesses. Non, eux, ils pensent [2] que si la baisse ou la suppression des cotisations sociales ne suffit pas, c’est donc qu’il faut baisser aussi les salaires, en commençant par les plus bas. Si ça c’est pas génial, hein, dites ? Évidemment, il n’y a aucune chance pour que ça fonctionne mais au moins, ça devrait nous rendre beaucoup plus réceptifs à la sainte parole ultra-libérale. Le but, c’est que bientôt, nous revendiquions de nous-mêmes d’être payés en salaires bulgares, grecs, polonais ou roumains, etc. La liste n’est plus exhaustive, hélas !

    Surtout ça permet d’introduire une notion révolutionnaire : celle du travail à la con tout juste payé une poignée de figues qui ne permettra pas de vivre mais qu’on intègrera dans les statistiques du chômage pour le faire baisser en masquant la paupérisation de ceux qui seront contraints de les prendre. Car, bien sûr, il y aura des gens qui les prendront. Ce salopard de Lamy le dit très bien : « Mieux vaut un boulot payé en dessous du SMIC que pas de boulot du tout. » C’est exactement comme le travail du dimanche dont personne ne veut, dans le fond, mais que certains sont contraints d’accepter s’ils veulent garder leur emploi et améliorer leur ordinaire. S’ils sont volontaires, c’est surtout pour ne pas crever, pas pour affirmer leur droit à la liberté de travailler quand et comme ils veulent.

    Devant tant de cynisme et de mépris, nombreux sont ceux qui rêvent de faire subir aux Lamy, Gattaz, Berger (Lolo de la CFDT), Sapin, Montebourg et consorts, des sévices dont les moindres consisteraient à les pendre par les parties génitales à des piques plantées sur la place de la Concorde à Paris. Ou de les plonger à poil dans un bain de goudron puis de les asperger de plumes. Ou bien encore, de les enfermer dans les cages de gorilles puceaux mais en rut car on sait, depuis Brassens, que ça nous ferait rire un peu.
    Il en est d’autres qui proposent de les aligner contre un mur et de les fusiller tout simplement car c’est une solution que la bourgeoisie, de laquelle nos drôles sont généralement issus, a souvent privilégié pour mater la classe ouvrière dans le passé.
    Enfin, d’autres qui atteignent ainsi des sommets de cruauté insoutenable, militent pour qu’on les condamnent à vivre jusqu’à la fin de leurs jours dans les conditions qu’ils veulent nous imposer, alors qu’il est clair qu’ils n’y survivraient pas et que, surtout, ils ne comprendraient pas un tel acharnement. Car ce qui est frappant chez la plupart de ces parasites, c’est leur totale absence de perception des dégâts que leur politique cause. Ou peut-être plutôt, leur aveuglement qui leur permet d’afficher une belle candeur lorsqu’ils affirment, la main sur le cœur et la bouche en cul de poule, vouloir œuvrer pour la France et les Français. Fermez le ban !

    C’est vrai qu’ils sont très forts : ce ne sont pas les politiques d’austérité ni la casse des systèmes de protection sociale, de redistribution et de solidarité qui précarisent de plus en plus de citoyens et les fragilisent. Au contraire, ce serait le Code du Travail trop rigide et trop protecteur des salariés, outil de persécution dans les mains d’une Inspection du Travail qui ne songe qu’à réprimer alors que ces pauvres choux de patrons ont tant besoin d’être dorlotés et aimés ! Ce serait la seule juridiction sociale, les prud’hommes, qui plonge ces malheureux patrons dans l’insécurité en les condamnant lorsqu’ils enfreignent la loi. Ce seraient les cotisations sociales trop lourdes et la solidarité intergénérationnelle trop généreuse et dont nous n’aurions plus les moyens alors que la part des salaires dans la richesse créée ne cesse de diminuer depuis trente ans au « profit » de la rémunération du capital. Bref, ce n’est pas l’incroyable rapacité de l’oligarchie qui serait la cause de nos déboires mais notre intolérable prétention à vouloir vivre décemment.

    Il paraît que certains de ceux qui font le lit de ce libéralisme triomphant qu’ils ont choisi pour maître seraient socialistes ou apparentés.

    Autant cracher sur la tombe de Jean Jaurès !

 

[1] Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance

[2] Le mot est un peu fort, j’en conviens.